Extrait du livre Marime, écrit par Boris DYMNY
« J’avais préparé tout mon laïus, longuement répété en face d’un miroir de salle de bain ou au secret d’un habitacle de voiture.
« Baxtalo, monsieur ! Je ne connais pas seulement le nom de votre fille, mais j’ai croisé le feu de ses yeux. Et ce feu-là, voyez-vous, m’a embrasé le cœur. Nous n’avons pas parlé, mais tant de choses peuvent se passer sans les mots ! Vous devez le savoir vous-même… La seconde supplémentaire qui permet de distinguer un regard anodin et une contemplation, le plongeon dans le fond de la pupille qui semble déjà vous déshabiller, l’effleurement du dos de la main qui réveille en vous toute votre fièvre érotique… Ne pensez pas qu’aujourd’hui, je viens vous la voler. Au contraire, je viens m’offrir à vous en tant que gendre. Dites-moi son nom ! Laissez-moi vivre le reste de mes jours aux côtés de son front si lisse, de ses yeux envoûtants, de ses lèvres frémissantes, de son cou de soie, de sa nuque à baisers… »
Arrivé en haut de la rue Rimbaud, je longeais la grille de chantier des immeubles en construction, traversais l’ancien chemin de fer, passais au travers de l’enceinte du terrain vague sur laquelle les rroms étaient installés. J’enjambais le tas de ferraille stockée, j’inhalais les vapeurs tenaces de plastique fondu venu des câbles de cuivres extraits de leurs gaines destinés à la revente au poids. Ça y est, j’étais arrivé. Le sol était jonché d’écorces de graines de tournesol, j’apercevais la première cabane aux murs de palettes et de carton accolée à une ruine de caravane sans roue. Je m’apprêtais à la prendre dans mes bras et embrasser sa nuque si délicate.
Je ne rencontrai alors qu’un officier de police qui finissait de « sécuriser » l’endroit…
« C’est un peu surfait, à mon avis, votre demande en mariage, monsieur. » me dit-il quand je lui narrais ce qui m’amenait en ces lieux sauvages.
« Faudra trouver mieux, pour la séduire, votre gitane. Cela dit, ce sera pas évident pour vous, m’sieur. On les a expulsés ce matin. Hop ! Retour à l’envoyeur ! Un « Come back to Gipsystan » qu’ils ont eu, les gitans ! »
J’ai eu comme un air de nausée. Il m’avait annoncé la nouvelle avec la délicatesse d’un routier cosaque commentant la chute de rein d’une joggeuse du samedi matin en mangeant un hotdog à tendance éruptive.
Ah il l’avait renvoyé au Gipsystan ? Eh bien, dans ce cas, moi, j’irai au Gipsystan. « J’irai, et vous verrez, je la ramènerai ! » que je lui ai dit, au policier.
« Si vous voulez. Comme ça je pourrais la ré-expulser » dit-il en gonflant ses joues flasques pour réprimer un rire – sans doute gras et postillonnant.
Il ne me croyait pas ? Eh bien, maintenant, m’y voilà.
Šutka, je suis là. »
Le livre « Marime » raconte les aventures des musiciens du Gipsystan. Ecrit par Boris DYMNY lors des résidences d’écriture à Šutka (Macédoine) et à Szakácsi (Hongrie). Il est actuellement en cours de publication.
Un recueil de nouvelles écrites avec les rroms lors des collectages est également en cours d’écriture.